JE SENS DONC JE SUIS

A l'occasion de visites récentes à mon atelier cet hiver, je remarquai les résonances chez ceux qui regardaient mes peintures. Me reviennent alors les conversations autour du tableau « Le défenseur des failles » qui, clairement pour moi est l'expression d'un gardien opinîatre. Le départ de cette oeuvre m'a d'abord échappé des doigts. J'ai laissé passer le murmure intérieur qui devenait vrombissement à mesure que les pinceaux progressaient. Cette présence s'est imposée et j'ai accepté la rencontre.

Certains y voient un phénix.

Je comprends cette vision. Le regard est propre à chacun, comme le sentir.

Parce que fiable, c'est à la sensation que je fais le plus confiance, le corps est sincère, sans filtre, il capte. Les réflexions purement intellectuelles glissent et ne trouvent aucune aspérité à l'arborescence de mon attention.

Mon mental est cablé de telle façon que la connexion se neutralise dès que je suis en zone “échange - 100% analytique”.

Je me rappelle d'une expérience très forte datant de 2006 avec la peinture d'un autre artiste.

De passage à Londres pour organiser ma nouvelle exposition, j'ai voulu découvrir le Tate. Moi qui peignais des fleurs en gros plan, j'étais obsédée par les jeux de lumière et la technique, je cherchais davantage les peintres figuratifs en zigzaguant parmi la foule de visiteurs. Pourtant, de ce jour, je garde un seul souvenir : mon émotion dans la salle Rothko. Cette première rencontre avec sa peinture m'a foudroyée. Je suis restée assise pendant un temps indéfini et me suis retrouvée seule avec ses toiles prunes, noires et géantes. Elles m'ont décalé et mise à un autre endroit de moi, jusque là inconnu.

Une porte s'est ouverte, expérience mystique.

Ne rien savoir de l'artiste ni de son œuvre mais recevoir sa puissance par le corps. Une information suffisamment preignante pour que l'on puisse éprouver une sensation nouvelle, intense de beauté et de grâce. Quel présent !

Déboussolée, je suis ressortie de cette pièce en sachant qu'il était trop tôt pour passer à l'acte de peindre l'abstraction. J'ai porté ce cadeau longtemps et mis 15 ans à l'ouvrir. La question de l'abstrait avait besoin de maturer. Mon vécu confirme à quel point la ressource du corps comme transmutateur est centrale dans la création.

Quand j'y pense, je trouve ça tellement beau de recevoir le message d'une œuvre au-delà des mots.

J'étais très émue de lire bien plus tard, que le désir de Rothko était de transmettre la dimension spirituelle à travers ses peintures.

La vibration traverse le temps et transcende nos êtres.

Entrez ici dans la peinture dont il est question au début du texte

Suivant
Suivant

CONTE FLORAL et FRICHE HUMAINE